Patrimoine des ménages : des inégalités qui s'accentuent et des habitudes qui s'ancrent
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5/18/20256 min temps de lecture
Alors que l’inflation, la hausse des taux et les tensions immobilières redessinent la géographie des classes moyennes, la photographie publiée par l’INSEE en mai 2025 sur le patrimoine des ménages français révèle une tendance structurelle plus silencieuse, mais tout aussi significative : les inégalités patrimoniales se sont nettement accrues depuis 2018, particulièrement au sommet de la distribution. En parallèle de quoi, les placements préférés des français restent inchangés.
Livret A, immobilier, assurance-vie : les piliers inchangés de l’épargne française
L’épargne des Français reste fidèle à ses piliers traditionnels, avec une aversion marquée pour le risque. En tête, le Livret A conserve une place de choix : en 2024, malgré son taux abaissé à 3 % en février, il a continué à enregistrer des collectes nettes positives, preuve de l’attachement des ménages à ce placement liquide, défiscalisé, et garanti par l’État. Selon la Banque de France, plus de 55 millions de livrets sont encore ouverts. L’assurance-vie vient ensuite, en particulier sous forme de contrats en euros. Bien qu’elle ait été concurrencée par le Livret A ces deux dernières années, l’assurance-vie reste le placement financier le plus doté en volume, avec plus de 1 900 milliards d’euros d’encours en 2024. L’attrait reste fort pour les contrats en fonds euros, malgré leur rendement modeste (autour de 2,6 % en moyenne en 2023), en raison de leur sécurité et de leur fiscalité favorable à long terme.
L'immobilier locatif, quant à lui, demeure la pierre angulaire du patrimoine des ménages français. D’après l’INSEE, près de 60 % du patrimoine des ménages est constitué d’immobilier. Ce goût prononcé s’explique par une double fonction : l’usage personnel et la perspective de transmission. Toutefois, la remontée des taux d’intérêt a ralenti les nouveaux investissements locatifs depuis 2023, notamment dans les grandes villes. À l’inverse, les actions ou autres produits financiers à risque (ETF, private equity, SCPI, etc.) restent minoritaires dans les portefeuilles, en dehors du décile supérieur. Moins de 20 % des ménages détiennent des actions en direct ou via des PEA. Cela reflète une culture patrimoniale prudente, héritée de crises passées (2008, 2011), mais aussi un manque d’éducation financière sur les outils de diversification.
Les plans d’épargne retraite (PER) commencent à trouver leur place dans l’univers de l’épargne longue, avec 7 millions de PER ouverts fin 2024 selon la DGFIP. Leur montée en puissance reste toutefois limitée par leur complexité perçue et la faible appétence des jeunes ménages pour les produits d’épargne bloqués. Enfin, les cryptomonnaies restent un phénomène marginal en termes de montants mais significatif sur le plan générationnel. Un quart des 18-35 ans déclare en avoir détenu, selon une enquête AMF 2024, même si les montants moyens investis restent faibles. Ce placement, à très haut risque, symbolise une fracture entre générations en matière de stratégie d’épargne.
Un patrimoine médian qui stagne…pendant que le haut du classement s’envole
Le patrimoine brut médian des ménages atteint 190 000 euros en 2021, selon l’enquête Patrimoine de l’INSEE, soit un niveau quasiment stable par rapport à 2018. En corrigeant de l’inflation, la progression réelle est quasi nulle, illustrant une forme de stagnation du patrimoine pour la majorité des ménages.
Ce patrimoine médian correspond essentiellement à l'immobilier (résidence principale et éventuellement résidence secondaire), qui représente toujours plus de 60 % du patrimoine brut des Français. Pour les 50 % les moins dotés, la part de l’immobilier grimpe à plus de 80 %, soulignant une forte concentration sur un seul type d’actif, donc une forte exposition aux chocs de marché.
Le contraste est frappant dès que l’on observe le sommet de la distribution. Le patrimoine moyen des 10 % les plus riches s’établit à 1,5 million d’euros. C’est près de 8 fois plus que le patrimoine médian, et ce ratio continue d’augmenter. En 2018, il n’était “que” de 7,5. La part détenue par ce décile supérieur est passée de 46 % à 49 % de l’ensemble du patrimoine privé français en trois ans.
Les 1 % les plus riches, eux, affichent une moyenne patrimoniale supérieure à 5 millions d’euros, selon les extrapolations issues de la documentation méthodologique. Ces foyers concentrent à eux seuls plus de 15 % du patrimoine total du pays.
Des actifs financiers plus dynamiques que l'immobilier
Ce creusement des inégalités patrimoniales s’explique notamment par la composition des portefeuilles. Tandis que la majorité des ménages détient essentiellement de l’immobilier (et parfois un peu d’épargne réglementée), les plus aisés sont massivement exposés aux marchés financiers : actions cotées ou non cotées, assurance-vie en unités de compte, produits structurés, private equity ou fonds patrimoniaux.
Entre 2018 et 2021, la capitalisation boursière a connu une forte croissance (+30 % en cumulé sur le CAC 40), ce qui a mécaniquement enrichi les détenteurs d’actifs financiers dynamiques. Les ménages les plus aisés ont donc vu leur patrimoine croître plus rapidement, alors même que l’immobilier s’essoufflait, surtout en province.
En outre, la capacité d’épargne reste très inégale. Selon l’étude, 20 % des ménages n’ont aucun patrimoine financier hors livret réglementé. À l’inverse, les 10 % les mieux dotés détiennent en moyenne 220 000 euros en actifs financiers (hors immobilier), ce qui leur permet de diversifier leur portefeuille et de profiter pleinement des marchés.
Des écarts intergénérationnels toujours marqués
L’âge reste un facteur déterminant dans l’accumulation du patrimoine. Le patrimoine moyen des ménages de 65 à 74 ans est plus de 4 fois supérieur à celui des moins de 35 ans. Certes, l’accumulation patrimoniale suit une logique de cycle de vie. Mais cette différence s’accentue : les jeunes ménages accèdent de plus en plus difficilement à la propriété, en raison de prix élevés et de conditions de crédit plus strictes. En 2021, seuls 32 % des ménages de moins de 35 ans étaient propriétaires, contre 41 % en 2010.
Par ailleurs, les inégalités de transmission s’ajoutent à ces disparités. Près d’un tiers du patrimoine des 10 % les plus riches provient de donations ou d’héritages, selon les données INSEE. Ce levier est bien moins accessible aux classes moyennes.
Un enjeu fiscal et politique croissant
Face à ce constat, la fiscalité du patrimoine fait régulièrement débat. La concentration croissante des actifs (notamment financiers) dans les mains des plus riches relance la question d’une réforme de la fiscalité du capital, voire d’un impôt sur la fortune rénové. La dernière réforme structurelle remonte à 2018, avec la transformation de l’ISF en IFI (impôt sur la fortune immobilière), recentrant la taxation sur les biens fonciers.
Or, l’étude de l’INSEE confirme que ce recentrage n’a pas entamé la dynamique d’enrichissement des 1 %. L’exonération des actifs mobiliers (actions, obligations, parts de société) a permis à ces ménages de capitaliser sur la performance des marchés sans être pénalisés fiscalement.
Dans ce contexte, plusieurs voix académiques ou politiques plaident pour un rééquilibrage : relèvement de la flat tax, taxation des successions renforcée sur les hauts patrimoines, ou création d’un impôt universel sur le capital net.
Un marché de l’investissement à deux vitesses
L’analyse de l’INSEE montre une France coupée en deux sur le plan patrimonial. Une majorité de ménages progresse lentement, voire stagne, focalisée sur l’immobilier et des produits d’épargne peu rémunérateurs. Une minorité, bien dotée, diversifie, optimise et capitalise sur les marchés, captant l’essentiel de la croissance patrimoniale.
Pour les investisseurs, cette dualité souligne l’importance de l’éducation financière, de la diversification des supports, mais aussi de la veille réglementaire. Dans un monde où les règles fiscales peuvent évoluer rapidement, une gestion active du patrimoine devient indispensable. À plus long terme, la soutenabilité du modèle dépendra aussi de la capacité du politique à réconcilier performance économique et justice sociale.
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